——– Message transféré ——– Sujet : un joli portrait pour les morts abertzales Date : Sat, 2 Nov 2019 15:47:52 +0100
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Pays basque : «Berhoco», la non-violence en étendard
Libération Par Cyrille Pitois, correspondance à Bayonne <www.liberation.fr/auteur/18161-cyrille-pitois> — 1 novembre 2019 à 20:36 Michel Berhocoïrigoin lors de la Conférence internationale pour une paix juste et durable à Cambo-les-Bains en 2018.Michel Berhocoïrigoin lors de la Conférence internationale pour une paix juste et durable à Cambo-les-Bains en 2018. Photo AndBZ. ABACA
A la veille d’une réunion entre acteurs du processus de paix, rencontre avec l’activiste pacifiste de longue date et l’un des animateurs de cette démarche citoyenne.
* Pays basque : «Berhoco», la non-violence en étendard
Au Pays basque, les hommes et les femmes qui ont pris les rênes du processus de paix doivent se retrouver ce samedi matin entre élus, acteurs économiques de la région et simples citoyens pour insuffler une nouvelle énergie dans les discussions avec l’Etat lancées en 2017. Objectif : tourner définitivement la page de quatre-vingts ans de violence armée en incluant le plus de monde possible. Depuis deux ans, les choses ont beaucoup bougé, de la remise de l’arsenal d’ETA au transfèrement de prisonniers vers le Sud-Ouest en passant par la dissolution du mouvement armé en 2018.
«Ordre éternel»
**/«Notre trésor, c’est l’attelage pluridimensionnel, qui nous permet de décider comment on va tous appartenir à un même ensemble. Moi, je n’ai pas la réponse, /affirme Michel Berhocoïrigoin, dit «Berhoco», l’un des animateurs de cette démarche citoyenne éparpillée en plusieurs mouvements, les Artisans de la paix ou Bake Bidea («le chemin de la paix»). /Plus on avance, plus on sent l’énorme responsabilité d’intervenir dans l’histoire sans faire de gaffes.» /Maire de Bayonne et président de la communauté d’agglomération du Pays basque, Jean-René Etchegaray est formel : /«Son action courageuse est le fait générateur d’une prise de conscience et de mobilisation de la société civile sur notre territoire.»/
Michel Berhocoïrigoin a son territoire chevillé au corps. Enfant, il a appris à parler en basque, dans le minuscule village de Gamarthe, 122 habitants, accroché au flanc de la montagne pyrénéenne, qui a vu ce fils de paysan se nourrir des traditions chrétiennes locales et d’expériences menées aux quatre coins de la planète. /«Il pense toujours en basque, même quand il s’exprime en français, /plaisante *son compagnon de nombreuses luttes, Jean-Noël Etcheverry, dit «Txetx», **pilier du militantisme non violent*. /Berhoco, c’est un humaniste, un sage de la société basque. Il inspire beaucoup de gens ici.»/
/«Rien n’était programmé pour que je m’engage en faveur du désarmement»/, raconte aujourd’hui le militant à /Libération/. A 18 ans, c’est par le canal de la Jeunesse agricole chrétienne (JAC) que Michel Berhocoïrigoin développe d’abord sa /«sensibilité à un monde meilleur»/ : Mai 68 vient rencontrer le monde agricole. C’est le début de la modernisation, des balbutiements de la PAC. /«Nos aînés avaient peur du mouvement. L’ordre éternel des champs était bousculé/», se souvient Berhoco, qui devient chef d’exploitation à 22 ans. A la tête de son troupeau de vaches laitières sur une ferme de 24 hectares, il rejoint la vie militante de la FNSEA, l’unique syndicat agricole à l’époque, tout en ébauchant le syndicat paysan basque ELB. Marqué au coin de l’identité, pas du séparatisme : /«Nous sommes d’ici, mais pas que d’ici,/ martèle Berhoco. /Pas question de construire un mur autour de nous.»/
Après 1981 et la fin du monopole de la représentation agricole, Michel Berhocoïrigoin passe quatre jours par semaine à Paris : il est le premier secrétaire général de la Confédération paysanne. D’autres s’engagent dans un indépendantisme actif et cautionnent les actions violentes. Berhocoïrigoin, lui, prend ses distances avec la lutte armée : */«Pour moi, la non-violence, c’est d’abord par éthique et cohérence. Et aussi par souci d’efficacité : la violence sert l’ennemi.»/*
«Fragilité»
**Son truc, c’est de créer des outils pour le développement de son territoire. En 2005, il invente ainsi une chambre d’agriculture alternative, ce qui lui vaudra plusieurs procédures en justice. La structure est aujourd’hui reconnue, au point de délivrer toutes les habilitations professionnelles. /«On ne parlait pas encore de désobéissance civile, mais notre détermination, ce n’était rien d’autre/», explique le militant.
En 2011, la déclaration de Aiete signée à Saint-Sébastien par des leaders internationaux reconnus dans la résolution de conflits, Kofi Annan en tête, trace une feuille de route pour ramener la paix au Pays basque. En Espagne, le soutien à ETA faiblit. /«C’est ce qui a été déterminant, encore plus que les coups portés par la police espagnole. Je me suis dit : là, c’est bon, il y a un vrai espoir de passer à autre chose. Ça arrive bien tard, mais ça aurait pu ne jamais arriver/, se souvient Berhoco. /Face à la fragilité du truc, il fallait nous montrer à la hauteur.»/
Plusieurs conférences pour la paix et opérations de désarmement – comme la restitution de l’arsenal d’ETA en avril 2017 – se succèdent. Il y a eu des accidents de parcours, comme les arrestations de Louhossoa en 2016 : quatre militants du désarmement, dont Berhoco, passeront quatre-vingt-seize heures en garde à vue à Paris, la durée autorisée en cas de terrorisme. Après une grosse manifestation en décembre 2017, le dialogue s’engage avec le gouvernement.
Depuis deux ans, le nombre de prisonniers basques incarcérés en France a diminué de 69 à 38, dispersés dans 21 prisons du territoire avant d’être regroupés et rapprochés du Sud-Ouest sous l’impulsion des Artisans de la paix. En mai, Emmanuel Macron évoque pour la première fois le processus de paix en public : /«C’est un exemple. Le devoir de l’Etat est d’accompagner le mouvement.»/ Samedi, ce processus doit renouveler sa feuille de route, arrêter un calendrier et relancer un espace de discussion.
Cyrille Pitois correspondance à Bayonne <www.liberation.fr/auteur/18161-cyrille-pitois>