« J’ai décidé de libérer mon imagination – de me débarrasser de la camisole de force d’un style unique –, de la laisser vagabonder dans toutes les directions… » Ainsi parlait Jodorowsky dans « la vie est un conte ».
Ainsi parlait aussi Ancelm, apprenti écrivant se laissant aller vers des chemins inconnus tout en tâchant de ne point se perdre, nonobstant ! Cela se passait dans une époque bizarre, vraisemblablement, lors de l’alignement de certaines planètes, mais il n’y connaissait rien en matière d’astrologie et comme il était tenu d’observer un confinement absolu, il se retrouvait, malgré lui, dans une grande maison du fin fond du Périgord noir. Aussi noir que les pensées qui le traversaient en ces temps d’apocalypse. Heureusement, il s’était donné un rituel qui l’aidait, chaque matin, en donnant un sens à la journée qui commençait : comme d’aucuns tiraient une carte de tarot, lui, ayant découvert ce moine bénédictin allemand ayant pour nom Anselm Grün, il ouvrait une page au hasard de son « guide de spiritualité au quotidien », guide « non dogmatique et manuel de morale pratique » pour découvrir une pensée, un conseil de méditation et de conduite pour la journée.
Ce jour où il avait commencé cette histoire, il était malencontreusement tombé sur
« l’ange de la confiance en l’avenir ». Ce jour même où la radio, en mal d’imagination journalistique dénombrait sans broncher le chiffre, naturellement très inférieur à la réalité, puisqu’on ne comptabilisait ni les morts en Maisons de Retraite, ni les morts chez soi, mais seulement ceux qui décédaient en structures hospitalières, le chiffre, donc, de quelques 2600 morts dans le pays. C’était une information d’un réalisme on ne peut plus réjouissant qui devait apporter du baume au cœur de tous les auditeurs aussi confinés que l’auteur de ces lignes !
Ancelm tourna son regard par la fenêtre et il fut surpris de voir, sur le rebord de la rambarde en bois qui bordait la terrasse, un animal absolument immobile qui le fixait de ses yeux globuleux. Ancelm s’approcha de la fenêtre et il s’aperçut que cet animal d’une dizaine de centimètres de long avec une longue queue, pouvait être un caméléon. Surpris car il n’avait jamais vu ce genre d’animal dans cette région, et d’ailleurs, il n’en avait vu que dans les livres, il l’observa attentivement. Il était de même couleur que la rambarde qui le supportait, un grisé assez foncé, et il semblait recouvert de sortes d’écailles. L’animal semblait dormir et pourtant, Ancelm observa que, tout à coup, et très rapidement, d’un mouvement ultra véloce, il avait sorti sa langue extrêmement longue, rose et comme une sorte de vers de terre, pour attraper probablement un insecte ou une petite mouche qui passait par là. C’était vraiment étonnant de trouver cet animal de pays chaud sur la rambarde de son balcon. Mais, Ancelm, bien qu’intéressé par cette découverte, décida de laisser l’animal mener sa vie car l’humain qu’il était avait d’autres chats à fouetter et il retourna écrire sans plus s’en préoccuper.
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C’était donc « l’ange de la confiance en l’avenir » qui était tombé ce matin-là ! Comme quoi, on pouvait s’attendre à tout ! Même à l’espoir ! Evidemment lorsqu’on regardait cette information au regard d’une période qui s’étalait sur plusieurs milliers d’années concernant l’existence de l’homme sur terre, on pouvait avoir foi en l’avenir. Après tout, ça n’était pas parce que cette pandémie, obligeant tous les humains à se calfeutrer chez eux, s’était maintenant étendue à l’échelle mondiale, qu’il fallait regarder cette époque comme exceptionnelle. Après tout, il y avait déjà eu, plus avant dans l’Histoire, de biens plus grands bouleversements sur la planète terre ! Et depuis chaque fenêtre des habitations où chaque être humain était forcé de regarder cette espèce de neige fondue dégringoler du ciel, comme ici-même, l’ambiance était quasi la même pour toutes et tous : morosité, ennui, accablement, chagrin, neurasthénie, tristesse, désœuvrement, lassitude morale et même cafard ! J’en passe et d’autres du même acabit !
Comment, dans ces conditions, à hauteur d’homme dirait-on, pouvait-on croire en cet ange de la confiance en l’avenir ? Surtout lorsqu’on ne croyait pas en l’existence des anges !
« Bien entendu, nul ne peut garantir que notre monde va rester longtemps en équilibre, et survivre aux folies de l’humanité », pouvait lire Ancelm, dans le chapitre qu’il avait ouvert ce matin dans ce guide spirituel. D’autant que les conséquences de ces folies de l’humanité étaient bien tangibles et réelles : libération de gaz à effet de serre ; réchauffement planétaire accompagné de sécheresse, incendies à grande échelle ; raréfaction de la biodiversité et extinction de nombreuses espèces animales et végétales ; fonte de la banquise et des glaciers ; élévation du niveau des océans, acidification, inondations…
Et pourtant il fallait bien vivre, c’est à dire pouvoir se projeter dans l’avenir. C’était indispensable pour ne pas se contenter de survivre. Il fallait de l’espoir. Mais ce n’était pas encore suffisant. Il fallait aussi trouver des éléments de solutions et s’y engager par des décisions et des actions. C’est ce que souhaitait faire Ancelm.
Il laissa son regard s’échapper par la fenêtre et vit que le caméléon était toujours sur la rambarde mais il vit aussi, surpris, que sur le plancher du balcon, il y avait une autre bête. C’était un vulgaire crapaud, tout à fait normal, avec de grosses écailles grises, un ventre qui trainait sur le sol et une tête solide avec des yeux presque fermés par de lourdes paupières. Bon, ça c’était normal pensait Ancelm, des crapauds on en voyait assez souvent par ici. Mais que faisait-il sur ce balcon ? Il verrait cela plus tard : il réfléchissait.
Oui, et bien justement, il avait décidé de s’y coltiner. Mais où, pour faire quoi, avec qui et comment commencer, par quoi ? Et d’abord quels étaient les outils à sa disposition ? Ecrire ? Ben, oui, c’est ce qu’il savait faire, écrire. D’accord mais il n’était pas journaliste et il ne connaissait pas les bonnes sources pour parler de tout cela de façon sérieuse, rationnelle, avec des chiffres, des statistiques, des résultats, des preuves. Pourtant il se dit : tant pis, j’écrirai sur ce que j’en pense. Après tout, même les savants, les scientifiques, les politiques, les experts, ne sont jamais d’accord entre eux. Les enquêtes sont souvent contradictoires quand leurs résultats ne sont pas opposés. Et quand ils arrivent à parler d’une même voix, le commun des mortels ne les croit plus. Ils se sont trompés tellement souvent ! Pire même, ils ont trompé le petit peuple avec tant de
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forfaiture, de façon consciente, sans jamais le reconnaître. Et puis ces soi-disant élites, ces puissants, ces énarques, sont presque toujours inféodés aux grands groupes multinationaux lorsqu’ils ne sont pas mandatés par ces grandes entreprises aux mains de la finance internationale, des banques et des fonds de pension américains ou suisses. Nous sommes, pensait Ancelm, envahis par des informations multiples, diverses, invérifiables parce que nous ne savons pas qui est derrière, qui sont les personnes ou les groupes qui donnent l’information en fonction de leurs propres intérêts ? Et ces intérêts devaient être puissants ! Qui nous manipule, bon sang, se demandait-il ?
Alors, dans cette incertitude, dans ce marasme informatique et informationnel, dans ce nuage glauque mondialisé, comment réagir ? Comment agir ? Je vais suivre les conseils de mon père, pensa Ancelm : il disait que le monde avait perdu son bon sens, le vrai bon sens paysan. Et qu’il fallait mieux agir selon sa propre intuition en suivant les lois de la simplicité. Alors, avec la récolte en vrac de ses propres informations mais surtout en suivant le simple bon sens, Ancelm décida de suivre ce qu’il pensait. Tout bonnement !
Par exemple, en matière de santé, Ancelm se demandait pourquoi, récemment, le gouvernement, avait décidé de ne plus rembourses les médicaments homéopathiques. Depuis des années la médecine officielle avait pourtant reconnu cette médecine et ceux qui soignaient selon les principes de la mémoire de l’eau. Et tout à coup, sans doute parce que les laboratoires pharmaceutiques de la chimie voulaient faire plus de bénéfices et regagner des clients qui partaient vers des médecines alternatives, le ministère et l’ordre des médecins décidaient soudain de ne plus soutenir cette branche de la médecine. Aux dépens de toute la population, toujours plus nombreuse, qui se tournait vers l’homéopathie. Alors « ils » décidèrent de supprimer la prise en charge par la sécurité sociale !
Autre exemple, pendant la pandémie, lorsqu’un médecin propose, un jour, de traiter les patients avec un dérivé de la chloroquine, la médecine officielle le voue aux gémonies alors qu’il y a peu, ce même médicament était imposé à toutes les personnes qui partaient travailler en Afrique : un cachet de nivaquine par jour ! Médicament très peu cher, facile à fabriquer à partir de la quinine trouvée dans la nature, et sans contre-indications ! Que l’on prenait sans ordonnance ! Il y a du mystère là-dessous se disait-il !
Et puis, il se rappelait qu’en 2005, après le vote majoritaire contre le projet de traité constitutionnel européen, la France « officielle » fait malgré tout valider le traité par un vote parlementaire de façon clairement antidémocratique. Ce fut la fin de la confiance que nous pouvions accorder aux pouvoirs politiques des Etats et de l’Europe. Au vu de ces exemples, Ancelm décida donc de ne plus se fier aux pouvoirs en place qu’ils fussent politiques, sanitaires, écologiques ou économiques. Inventons nos propres moyens d’agir et de vivre pensait-il. C’est ainsi qu’il partit en guerre contre « l’establisment » comme on dit en langage anglo-saxon. Et d’abord, regardons ce qui se passe en matière de Santé.
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Ancelm laissa traîner son regard au dehors et il remarqua que le caméléon avait avancé de quelques centimètres et que, maintenant devant le fond feuillu de l’arbre qui poussait près de la terrasse, un charme ou un orme, ce lézard insectivore avait changé de couleur : il était presque invisible devant le vert des feuilles. Mais il semblait toujours dormir ! Et sur le sol du balcon, le crapaud n’avait pas bougé.
Ancelm se mit au travail. Il commença d’abord par éplucher l’exemplaire du 11 janvier 2020 du journal « Sud-Ouest » qui trainait sur son canapé et qui dénonçait, en gros titre de la
« une » : « Les liaisons dangereuses entre Hôpitaux et laboratoires pharmaceutiques ». Il notait que l’industrie avait dépensé plus de 170 millions d’euros en direction des Centres Hospitaliers Universitaires en 2018 et que les CHU concentrait 38% des sommes dépensées en promotion par les laboratoires. Grâce aux visiteurs médicaux qui sont les courroies de transmission entre médecins et labos, les informations et les promotions des molécules passent encore très bien, parfois même sans contrats écrits, pouvait-on lire ! Des études pointent des corrélations entre liens d’intérêts et coûts des prescriptions, indiquait un autre article « On ne parle pas ici de corruption, mais d’influence. La corruption est consciente, l’influence est inodore et involontaire » expliquait le professeur Marco Romero, à l’origine d’une formation sur les méthodes marketing de l’industrie pharmaceutique dispensée à Bordeaux.
Ensuite Ancelm vit que le supplément du « Monde » du 29 janvier 2020 indiquait : « les chercheurs aussi sont dans la rue » dénonçant les coupes sombres dans les budgets de la Recherche, ainsi qu’une gestion toujours plus autoritaire et hiérarchique de l’activité de recherche des laboratoires, qui était mise en œuvre par une caste de managers éloignés des pratiques de recherche. Dans le même journal il trouva un long article sur « le spectre des bactéries résistantes en Inde » qui contaminent les patients dans les hôpitaux, au point que ces bactéries se révèlent plus mortelles que le propre cancer des patients soignés à l’hôpital !
Puis il s’intéressa au « Monde Diplomatique » de mars 2020 qui s’interrogeait : « D’où viennent les coronavirus ? » et qui titrait l’article de première page : « Contre les pandémies, l’écologie » signé de Sonia Shah. Celle-ci montrait que notre vulnérabilité croissante face aux pandémies a une cause plus profonde que l’origine de ce mal dont on accuse les animaux sauvages. C’est la destruction de leurs habitats qui est en cause. Depuis 1940, des centaines de microbes pathogènes sont apparus ou réapparus. C’est le cas du VIH, d’Ebola en Afrique, de Zika sur le continent américain… Ceux-ci viennent de la faune sauvage qui les abritent sans leur faire du mal mais dont les bactéries arrivent jusqu’aux populations humaines et viennent contaminer le corps humain, à cause des problèmes de déforestation, d’urbanisation et d’industrialisation. En effet « la destruction des habitats menace d’extinction quantité d’espèces… qui doivent se rabattre sur les portions d’habitat réduites que leur laissent les implantations humaines ». Leurs microbes deviennent pour nous des agents pathogènes meurtriers. « Pour assouvir son instinct carnivore, l’homme a rasé une surface équivalente à celle du continent africain afin de nourrir et d’élever des bêtes destinées à l’abattage. » Les microbes peuvent ainsi passer des animaux sauvages vendus sur les marchés aux animaux domestiques concentrés dans les élevages industriels et vendus sur les mêmes marchés. Des espèces se côtoient ainsi et les microbes passent des uns aux autres. C’est le cas de l’épidémie de
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syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), peut-être à l’origine du covid 19. L’auteur termine son article en déclarant que « si nous voulons être épargnés par les épidémies nous devons, impérativement, changer de politique vis-à-vis de la nature et de la vie animale ».
Tout à coup, une forme noire et rapide passa devant les yeux d’Ancelm, surpris, qui se courba et se passa le bras devant les yeux. Mais cette apparition avait dû passer au dehors car la pièce était vide de tout fantôme. Il se posait la question sur l’origine de cette forme lorsqu‘elle repassa au dessus du balcon, furtive et rapide. « Ah ! » Se dit-il « ce devait être une chauve- souris. Il y en a qui dorment dans la cave ».
Ancelm respira un bon coup pour se convaincre qu’il n’avait pas (encore !) le virus mais qu’il était urgent que la race humaine devienne, enfin, consciente de son appartenance intrinsèque à la nature et qu’il nous fallait changer de paradigme concernant la place de l’homme dans la nature. Sous peine de disparition de la race humaine, l’homme, se disait-il, ne peut plus exploiter la nature, les sols, les forêts, les sous-sols, les rivières et les océans, les autres races animales, la flore, l’air… et même les ethnies autochtones et minoritaires, en détruisant leurs habitats naturels. Ancelm se rappela avoir vu, il y a peu, sur Arte, un documentaire sur le Laos. Il apprit que ce pays s’appelait autrefois, en langue locale, « le pays des mille éléphants ». Il pu admirer ces grands animaux, certains encore sauvages dans les forêts. Pourtant les forêts se faisaient de plus en plus rares au Laos, à cause de l’urbanisation, Et il ne restait plus que 400 éléphants domestiques et sauvages au Laos. On ne savait plus comment faire pour garder cet éléphant mythique, l’emblème du pays. Même les éléphants domestiqués se faisaient rares car ils étaient remplacés par des tracteurs et autres engins mécanisés. Et les cornacs devenaient chômeurs.
Tout à coup un nuage noir passa au dehors, assombrissant entièrement la pièce. A tâtons, Ancelm alla ouvrir la fenêtre et vit que ce nuage était, en fait, formé d’une multitude de chauve- souris qui voletaient en groupes serrés, voilant le soleil. Sur la rambarde qu’il distinguait à peine tant l’atmosphère était sombre, le caméléon n’avait pas bougé et, sur le sol, le crapaud non plus. Comme si ces deux bestioles étaient venus se réfugier sur ce balcon en prévision de ce qui se passait au dessus. D’ailleurs le ciel s’assombrissait de plus en plus et Ancelm n’eut que le temps de se rejeter en arrière devant ce nuage de chauve-souris et de fermer la fenêtre précipitamment. Plusieurs pipistrelles s’étaient déjà invitées à l’intérieur de la pièce et voletaient autour de la lampe fixée au plafond. Comment faire pour les faire sortir alors qu’il y en avait plus de mille qui voulaient aussi rentrer, se demanda Ancelm, soucieux ?
Il résolut la question en allant se réfugier dans la pièce adjacente, la porte bien refermée. Mais il se demandait bien ce qu’il pouvait faire. Et comme son esprit était passablement perturbé par cet événement incongru, il se dit en riant sous cape : « Heureusement que ce n’est pas une troupe d’éléphants qui vient m’envahir ainsi ! » Il n’était pourtant pas très rassuré. Mais, aussi rapidement que le ciel s’était obscurci, il redevint aussi clair qu’auparavant et Ancelm alla libérer les chauves-souris dans son bureau en ouvrant sa fenêtre. « N’empêche » pensa-t-il « ce n’est pas normal. Tout est déréglé dans la nature ».
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Sur la terrasse, le caméléon et le crapaud avaient disparus ! Tout était redevenu normal. « Première alerte avant la fin du monde ? » se questionna Ancelm à moitié rassuré.
En Australie, Ancelm se souvint qu’aux informations télévisées, on montrait un petit kangourou dans les bras d’un homme, un cycliste. Cet homme avait recueilli ce petit marsupial pour le rafraîchir et lui donner à boire à l’aide d’un biberon, alors qu’il était complètement déshydraté. Heureusement il allait survivre contrairement à la plupart de ses congénères sur le passage de l’un des grands incendies qui avaient ravagé presque tout le continent. C’était à la fois, une bien belle image. Mais aussi une image tellement triste !
Ancelm se fit alors cette réflexion en regardant une trace laissée par les chauves-souris sur l’abat-jour : oui, si nous voulons être épargnés par les épidémies nous devons, impérativement, changer de politique vis-à-vis de la nature et de la vie animale. Et l’image du caméléon sur le balcon lui revint en mémoire.
Tugdual de Cacqueray, le 2 avril 2020
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