Débat sur cette tribune proposé par Anne-Marie
A propos de la tribune « plus jamais ça »
Tabou, totem et vœux pieux ?
Une tribune signée par des responsables syndicaux (CGT, FSU, Solidaires,
Confédération paysanne, UNEF, UNL….) et associatifs (Attac, Greenpeace,
Droit au Logement…) intitulée “Plus jamais ça ! Préparons le jour
d’après” appelle, « face à la crise du coronavirus », à de « profonds
changements de politiques » et à une « remise à plat du système en
France et dans la monde ».
Dénonçant à juste titre les politiques néolibérales ayant réduit les
capacités de lutte des États face à une telle crise, cette tribune
réclame des mesures d’urgence auxquelles nous ne pouvons que souscrire :
aide massive aux hôpitaux et aux établissements de santé, mise à
disposition du matériel nécessaire, réquisition des établissements
privés et des entreprises pour produire l’équipement médical, arrêt
total des productions non essentielles, interdiction des licenciements,
aides aux mal logés, demandeurs d’asile, victimes de violences
familiales, suspension des dividendes…
Mais le simple bon sens ici en action ne saurait cependant masquer les
aspects troublants de cette tribune.
D’abord, il faut souligner le ton extrêmement mesuré face aux
irresponsabilités criminelles du gouvernement MACRON – PHILIPPE dans
cette crise alors que sont si nombreuses et profondes les raisons de ne
taire notre colère ni de dissimuler les victimes sacrifiées : -c’est bien
d’un *scandale d’État* qu’il s’agit lorsque les soignants et toutes les
personnes au contact ne disposent pas du matériel de protection et que
rien n’ait été mis en place pour produire en masse masques, gel, tests
qui manquent encore et toujours … ; c’est bien d’un *scandale d’État*
qu’il s’agit lorsqu’aucune mesure préventive n’a été prise depuis des
semaines et que les conseils de l’OMS puis de la Chine et de l’Italie
ont été superbement méprisés (tests systématiques et strict confinement
des personnes infectées, utilisation des antiviraux connus), conduisant
à un confinement général désormais nécessaire mais extrêmement dur pour
les classes populaires, faute de moyens de santé publique et de
prévention des risques sanitaires ; c’est bien d’un *scandale d’État*
qu’il s’agit lorsque le gouvernement contraint les salariés des secteurs
non essentiels à aller travailler…
Dans ces conditions, comment ne pas voir la profonde défaillance de
l’État et des soi-disant hauts représentants du peuple, transformés
depuis si longtemps en Entreprise gérée par des managers agissant pour
le compte des intérêts privés lucratifs ; pour construire un autre
avenir, nous avons besoin de ne pas nous tromper sur la manière dont les
pouvoirs publics gèrent cette crise et les raisons matricielles de cette
gestion. Il nous faut l’affirmer : soit les gouvernants sont stupides et
« hors-sol », soit ils agissent en toute conscience. Dans tous les cas,
par leurs mandats, ils sont entièrement responsables. Et le jour
d’après, ce n’est pas sur eux que nous pourrons compter.
En outre, les attaques du gouvernement contre le droit du travail et les
acquis sociaux ne sont pas seulement « à craindre » comme le dit ce
texte, elles sont d’ores et déjà effectives avec l’indigne état
d’urgence sanitaire et les pleins pouvoirs laissés au patronat contenant
le temps de travail (jusqu’à 60 heures par semaine!) et les congés
payés. A la manière de pompiers pyromanes, le MEDEF et ses managers à la
tête de l’État aggravent les politiques anti-sociales à l’origine
notamment de la destruction de la santé publique en profitant de la
terrible crise actuelle pour continuer à instaurer, petit à petit,
l’état d’urgence permanent et les pleins pouvoirs au capital.
Que fait-on le « jour d’après » ?
Cette timidité dans la caractérisation de la crise et des
responsabilités dans sa gravité trouve un écho dans les perspectives
pour le « jour d’après » que les auteurs de la tribune entendent mettre
en avant.
Certes, on y parle de la nécessité de la « relocalisation des
productions » et de l’impératif d’un « futur écologique, féministe et
social ».
Mais pour cela, est-il bien raisonnable voire même seulement logique de
réclamer « au sein de l’Union européenne (…) un budget européen bien
plus conséquent que celui annoncé » ? De demander à la BCE « des aides
conditionnées à la reconversion sociale et écologique » en laissant
entendre que l’injection de 750 milliards d’euros sur les marchés
financiers risque seulement d’être « inefficace » ?
Camarades, regardez les choses en face. Non, l’injonction de 750
milliards d’euros ne sera pas inefficace. Comme en 2008, elle sera
utile, et même vitale pour le capital financier qui tient les rênes de
l’UE et de la BCE et qui a un besoin permanent de l’intervention publique
pour financer ses profits et mener sa guerre économique
sociale contre les travailleurs. Comme le disait
Michael Moore en 2008 : « ils ont les mains dans le coffre »
.
D’ailleurs, très concrètement, l’UE a une fois de plus fait la preuve
durant cette crise de son absence totale d’utilité pour les peuples et
les travailleurs : rien n’a été entrepris pour assurer la solidarité et
la cohérence des réponses à apporter, tout y a été fait pour garantir
avant tout les profits aux grandes entreprises. Si bien qu’en Italie, ce
sont bien la Chine, Cuba et le Venezuela qui doivent apportent l’aide et
l’expertise médicales.
Mais surtout, les expériences des travailleurs en lutte depuis des
années le montrent suffisamment : délocalisations, évasion fiscale, mise
en concurrence des travailleurs, casse des services publics, destruction
des régimes de retraites par répartition, formatage des système
éducatifs, privatisation des transports et de l’énergie… : les
institutions de l’UE pilotent la casse sociale et démocratique pensée
depuis des dizaines d’années au sein des institutions de la
mondialisation néolibérale comme l’OMC, le FMI, l’OCDE… L’UE est
l’outil du grand capital au niveau continental, elle ne peut en aucune
manière être réorientée de par ses traités gravant le néolibéralisme
dans le marbre.
– Contrôler “les capitaux et interdiction des opérations les plus
spéculatives, taxe sur les transactions financières… De même sont
nécessaires un contrôle social des banques, un encadrement beaucoup plus
strict de leurs pratiques ou encore une séparation de leurs activités de
dépôt et d’affaires” ? Interdit par les traités de l’UE !
– Prêt par la “BCE et les banques publiques directement et dès à présent
aux États et collectivités locales pour financer leurs déficits, en
appliquant les taux d’intérêt actuels proches de zéro”? Interdit par les
traités de l’UE !
– “Remettre à plat des règles fiscales internationales afin de lutter
efficacement contre l’évasion fiscale” ? Interdit par les traités de l’UE !
Dès lors, sauf à vouloir exonérer le système et ses dirigeants de leurs
responsabilités face à la colère populaire qui grandit, pourquoi
continuer à faire croire que l’UE et le capital pourraient être «
réorientés » et que le « jour d’après » passera par eux ?
Camarades, le totem de l’UE et le tabou sur le débat à son sujet ne
peuvent mener que dans l’impasse des vœux pieux et des déclarations
aussi généreuses qu’impuissantes.
Ce qui est en cause, c’est bien le système capitaliste dans sa phase
pourrissante et avec lui les institutions que ses forces sociales
dominantes se donnent pour écraser les peuples et les travailleurs (UE,
BCE mais aussi FMI, BM, OCDE…) et qui continueront et accéléreront après
la crise sanitaire si nous ne les combattons pas frontalement et
victorieusement.
Si nous voulons vraiment un « futur écologique , féministe et social»,
ce n’est pas avec mais contre Macron et son gouvernement, contre l’UE,
contre le capitalisme que les forces progressistes doivent s’engager
résolument pour ouvrir la voie du changement de pouvoir et de société,
dans la lutte de classe menée jusqu’au bout pour le progrès social, la
paix et la démocratie, afin que le « jour d’après » inaugure enfin des
« jours heureux ».
Les capitalistes ont besoin des travailleurs pour faire leur profit. Les
travailleurs n’ont pas besoin des capitalistes pour produire ce dont ils
ont besoin.
Front Syndical de Classe, 31 mars 2020
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